Dans la pratique, son succès est indéniable, et il semble que les autres moyens de paiement ne soient pas a même de mettre un terme à cette prédominance.
Ce succès est dû essentiellement à un ensemble de mécanismes qui renforcent sa crédibilité. Ainsi l’opposition au paiement du chèque n’est admise qu’en cas de perte, de vol, utilisation frauduleuse ou falsification du chèque. Il en est de même en cas de redressement ou liquidation judiciaire du porteur. En dehors de ces cas, toute opposition est irrégulière et expose son auteur, outre les interdictions bancaires, à un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 2000 à 10 000 dirhams sans que cette amende puisse être inférieure à 25 % du montant du chèque. Le tireur du chèque à la même peine en cas d’émission de chèque sans provision. A la différence de la traite, le chèque doit être utilisé exclusivement en tant que moyen de paiement. Sur le plan pratique la réalité est différente. On constate ainsi que commerçants ou non commerçants l’utilisent en tant que moyen de crédit. C’est-à-dire que le tireur qui ne dispose pas de fonds suffisants le remet au bénéficiaire à titre de garantie. Sur le plan juridique, le bénéficiaire d’un tel chèque s’expose aux mêmes sanctions que celles prévues en cas d’émission de chèque sans provision. (Article 316 du code de commerce). Théoriquement, les tribunaux face à un chèque remis à titre de garantie et qui s’avère sans provision, condamneront le tireur du chèque aux sanctions prévues pour l’émission de chèque sans provision, et le bénéficiaire aux sanctions prévues pour l’acceptation d’un chèque à titre de garantie. Apparemment ce n’est pas toujours le cas. En effet, dans le cadre d’un litige qui oppose le tireur d’un chèque au bénéficiaire, un jugement du tribunal de première instance de Marrakech en a décidé autrement. Dans cette affaire, le tireur du chèque, après que celui-ci soit revenu impayé pour insuffisance de provision, dépose une plainte contre le bénéficiaire pour escroquerie et abus de confiance. Il lui reproche d’avoir versé au paiement un chèque qui lui a été remis à titre de garantie. Le tribunal a condamné le bénéficiaire à six mois de prison ferme plus une amende de 2000 dirhams, la restitution au tireur des chèques incriminés, et le versement entre les mains de ce dernier de la somme de 50 000 dirhams à titre de dommages. On est loin de l’application de l’adage » nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude « . Par ce jugement, le tribunal permet ouvertement au tireur de se cacher d’un délit par un délit. Or en la matière les principes, qui doivent prévaloir sont les principes issus de la convention de Genève de 1930 et 1931 relatifs aux effets de commerce. En vertu de ces principes le chèque est considéré comme un titre abstrait. Sa simple émission suppose son paiement. Nul n’est censé ignorer la loi, et le tireur d’un chèque remis à titre de garantie ne peut prétendre qu’il ne connaissait pas la règle en vertu de laquelle le chèque est exclusivement un moyen de paiement. Il nous reste à souhaiter que cette jurisprudence soit une jurisprudence isolée car, autrement, c’est tout l’esprit du droit cambiaire qui sera remis en cause, que les efforts du Ministère de la justice ont essayé de consacrer dans leurs nombreuses campagnes visant à renforcer la crédibilité du chèque.
AL BAYANE N° 8998