Les entreprises en difficulté constituent-elles une menace pour l’économie ? C’est ce qui ressort en tout cas du rapport annuel de Bank Al-Maghreb présenté au Souverain en date du 14 juillet. Et c’est ce que la pratique semble confirmer.
Considérant l’intérêt de l’entreprise, le législateur marocain a abrogé la loi très archaïque sur les faillites et la liquidation des biens et a instauré en lieu et place une loi plus moderne, plus adaptée, qui traite des difficultés des entreprises à travers deux volets principaux : le redressement et la liquidation judiciaire. L’initiative du législateur était dictée par des considérations économiques, la sauvegarde du débiteur et par conséquent le tissu économique local, régional ou national dont la survie est d’intérêt général, et dont la protection relève aux yeux du législateur marocain de l’ordre public économique et social. Ces considérations nous ont conduit du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté.
Cette initiative, très louable au départ, pose de nombreux problèmes dans la pratique et est en passe de devenir une arme contre l’intérêt des créanciers de l’entreprise en difficulté en particulier, et de l’économie en général.
A l’origine de ce constat, il y a la mauvaise foi des débiteurs qui profitent des dispositions de la loi pour demander la mise de leur entreprise en redressement judiciaire, souvent de manière abusive. Ce qui a pour conséquence immédiate, ou presque, la suspension provisoire des poursuites individuelles et la suspension de l’exécution des jugements condamnant l’entreprise à payer ses dettes. Premières victimes de cette pratique devenue courante dans les milieux d’affaires : les banques. Fournisseurs de crédits, elles accompagnent les entreprises depuis la création et les assistent dans leur développement. Elles sont de ce fait les créanciers principaux des entreprises en difficulté et, par conséquent, les premiers touchés par la procédure les concernant. Il est vrai que les banques sont devenues de plus en plus sélectives dans la distribution des crédits. Mais, dans nombre de cas, on peut leur reprocher la légèreté avec laquelle elles l’affectent. Tantôt elles financent des entreprises dont la capacité ne permet pas le remboursement du crédit. Tantôt elles ne prennent pas assez de garanties ou prennent des garanties dont la valeur est surévaluée, rarement par naïveté mais souvent par complicité de certains banquiers malveillants. Elles exigeront parfois des cautions personnelles, mais très souvent elles se révéleront insuffisantes car provenant de personnes insolvables. Ce n’est pas sans raison qu’une certaine jurisprudence consacre la responsabilité du banquier dispensateur.
Encore une fois c’est vers la justice qu’il faut se tourner pour lui demander plus de célérité dans le traitement des dossiers relatifs aux difficultés des entreprises. On ne peut contester la conscience et la sérénité avec laquelle ils accomplissent leur mission. Nombre de leurs décisions sont devenues une référence en la matière. Cependant, on peut leur reprocher un certain laxisme à l’égard des débiteurs récalcitrants.
La loi leur permet de transformer d’office un redressement en liquidation. Ils pourraient user plus souvent de cette possibilité pour abréger les souffrances des entreprises en difficulté et, par conséquent, de leur environnement. Ils doivent systématiser l’interrogation du chef d’entreprise sur sa gestion, et lorsque celle-ci est à l’origine de la défaillance de l’entreprise, déclencher à son encontre les poursuites adaptées telles que banqueroute simple ou frauduleuse.
Il faut aller plus loin encore en recherchant la responsabilité pénale de tous ceux qui, directement ou indirectement, en droit ou en fait, ont participé à la gestion d’une entreprise en difficulté. On ne saurait trop insister sur l’importance de cette règle, qui permet d’atteindre ceux qui sans elle, et sauf complicité, pourraient s’abriter derrière la façade de la société et la personne des dirigeants de droit pour se soustraire en tant que dirigeants de fait aux sanctions pénales prévues par la loi.